Que retenir de la polémique sur l'assistanat et le RSA, "cancer de la société" selon Wauquiez? D'abord, que la course-poursuite à qui sera le plus brutal et le plus droitier sévit de plus en plus jeune à l'UMP. Après Sarkozy, après Copé, voici donc un nouveau postulant, prêt à tout pour se faire une petite notoriété sur le dos des plus fragiles.
Ensuite et surtout, que le pouvoir en place a tout de même un sacré toupet. Car pour lutter contre l'assistanat, encore faudrait-il consacrer toutes les marges budgétaires disponibles - et elles ne sont pas fameuses - pour revaloriser le pouvoir d'achat des travailleurs modestes et moyens. Si l'on prend en compte l'ensemble des prélèvements obligatoires, y compris bien sûr la CSG, la TVA et les autres impôts sur la consommation (essence, etc.), les cotisations et taxes diverses sur les salaires, etc., alors on constate que les personnes gagnant entre un smic et deux smics paient un taux global d'imposition d'environ 40%-50% dans le système fiscal actuel, alors que les plus riches sont à 30%-35%. Si l'on souhaite véritablement revaloriser le travail, dans les actes et pas seulement dans les discours, alors il n'existe qu'une seule solution: il faut tout faire pour réduire les taux d'imposition pesant sur les revenus bas et moyens.
Au lieu de cela, le gouvernement multiplie depuis 2007 les cadeaux fiscaux au bénéfice des plus aisés. Alors que les caisses publiques sont vides, il s'apprête à faire un chèque de plusieurs milliards d'euros aux contribuables de l'ISF, et à diviser par près de 4 l'impôt sur la fortune des plus riches (le taux applicable au-delà de 17 millions d'euros de patrimoine passera de 1,8% à 0,5%!). Ces décisions ne feront qu'accroître l'injustice et la régressivité d'un système qui l'est déjà beaucoup trop, comme vient d'ailleurs de le confirmer le Conseil des prélèvements obligatoires, organisme peu révolutionnaire s'il en est. Et l'addition retombera inévitablement sur les plus modestes, car il faudra bien rembourser les dettes. Que la droite puisse prétendre défendre le monde du travail en menant une telle politique de classe dépasse l'entendement.
La gauche peut et doit démontrer au pays qu'elle est la plus crédible pour revaloriser le travail et le pouvoir d'achat des salariés modestes et moyens. C'est d'autant plus urgent que notre système fiscal est aussi complexe et inefficace dans son fonctionnement qu'injuste dans sa répartition, et qu'une remise à plat d'ensemble s'impose. Après avoir payé 8% de leur salaire chaque mois au titre de la CSG (soit un mois de salaire à la fin de l'année), les salariés modestes reçoivent avec un an de retard un chèque au titre de la prime pour l'emploi, qui représente généralement entre un demi-mois et trois quarts de mois de salaire! Ce système absurde concerne chaque année quelques 8 millions de travailleurs modestes. En fusionnant CSG, impôt sur le revenu et prime pour l'emploi en un impôt unique, individualisé, payé par tous et prélevé à la source, on pourrait prélever seulement 2% au niveau du smic (et non plus 8%), si bien que le salaire net augmentera très fortement, de près de 100 euros par mois. C'est beaucoup plus satisfaisant que de recevoir un chèque, et cela permettrait de revaloriser réellement et concrètement le travail... à l'opposé des fausses promesses de la droite bling-bling. Un tel objectif mérite bien des compromis, et ceux qui s'opposent à cette " révolution fiscale " sans proposer de solution alternative permettant de remettre à plat la prime pour l'emploi feraient bien d'y réfléchir à deux fois.
La gauche peut et doit redevenir le camp des classes populaires et de la justice sociale et fiscale. Mais pour cela il faudra faire enfin des propositions précises et chiffrés. La gauche a été dix ans au pouvoir au cours des 25 dernières années (1988-1993 et 1997-2002). A chaque fois, elle avait dénoncé dans l'opposition les baisses d'impôt sur le revenu de la droite. Jamais elle n'est revenue dessus une fois au pouvoir. Jamais elle n'a entrepris de réformer en profondeur l'impôt sur le revenu. Certains ont même cédé à la mode consistant à dénigrer l'ISF et à en imaginer le démantèlement. Il va falloir aujourd'hui autre chose que des vagues promesses de réforme fiscale pour regagner la confiance des classes populaires, qui ont eu trop souvent l'impression ces dernières années que leurs intérêts économiques et sociaux étaient mieux défendus par l'extrême droite que par les socialistes. Espérons que les primaires permettent d'apporter des réponses claires et convaincantes.
Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris.